Le Chien des Baskerville - ECMP (Chronique)
- La Couleuvre
- 20 janv. 2020
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 févr. 2020

Le 18 janvier 2020, à 20 h 30, le noir se fait sur la majestueuse salle du théâtre de l'Allegria de la Maison des Arts du Plessis-Robinson. Le rideau s'ouvre sur une profonde scène traversée d'acteurs en capes, bottines, robes et complets. Aucun ne s’arrête pour lancer un regard aux deux jeunes mendiantes, une fille dite aveugle et sa mère. Seule la lumière leur prête attention. C'en est assez pour elles, même être aveugle n'est plus vendeur, mais que pourraient-elles faire ? Elles ne sont pas acrobates mais savent chanter ? Eh bien, qu’elles racontent une histoire, une histoire policière ! C’est ainsi que nos deux narratrices remontent au XVIIIe siècle et aux noces tragiques d’Hugo Baskerville, qui jetteront une malédiction sur sa famille jusqu’à ce que le plus grand détective de Londres y mette un terme, elles ont nommé Sherlock Holmes (et son ami, le docteur Watson !).
Fidèlement adaptée du roman éponyme de Sir Arthur Conan Doyle, en tout cas d'après le souvenir que j'en ai, cette comédie musicale interprétée par les jeunes comédiens-chanteurs-danseurs de l’École de Comédie Musicale de Paris nous plonge, pendant un peu moins de deux heures, dans le Londres victorien et la lande du Dartmoor, sur la piste du chien des Baskerville. Pour qui est familier de l'univers du détective, c’est un véritable plaisir de voir Sherlock Holmes se recroqueviller sur sa bergère pour réfléchir, s’allonger par terre pour étudier une carte d’état major ou faire une entrée triomphale en se révélant aux occupants du manoir. Tout le petit monde de Baker Street est là au complet avec Watson, Mrs Hudson et les Irréguliers (dont le chef, extrêmement attachant, ne porte pas le nom de Wiggins, ce qui fait que ma mémoire défectueuse des noms, se rappelant vaguement d'une sonorité comme Cartwright, ne me permet pas de le noter ici de manière certaine, malheureusement).
Bien qu’une très fidèle adaptation du roman, la comédie se permet tout de même quelques libertés et concessions, comme le célèbre « Élémentaire mon cher Watson ! » ou un Sherlock Holmes en dearstalker dans Londres même (ce qui est impensable pour le gentleman des livres) mais ce Holmes allie cela à un manteau long, une pipe et une allure parfaitement cohérente avec le personnage alors on lui pardonne ! La principale liberté de la pièce reste l’actualisation de certains détails, comme le check (ou poing-à-poing, ça rend mieux) complexe et remarquable de Holmes au chef des Irréguliers, les demandes de Mrs Hudson à Watson de dire à Holmes que trop de café et trop de tabac sont dangereux pour la santé et, surtout, la première doctoresse de campagne, car, oui, le docteur Mortimer est ici une femme qui, dans un remarquable duo chanté avec Mrs Hudson, revendique son droit à faire des études, être le patron, porter le cheveu court et le pantalon, avoir un salaire égal ou presque à celui des hommes, ne pas être prise pour une esclave et plein d’autres revendications, et ce, dès le début. Elle a même « inventé le concept de l’homme au foyer », selon ses dires, c’est dire ! Et en plus elle chante bien.
Tous chantent très bien d’ailleurs, mais je dois bien reconnaître que la voix de ténor d’Hugo Baskerville, quand, portrait de famille, il implore le pardon de sa presque-femme et sa presque belle-mère (il est mort avant l’officialisation de l’alliance donc bon…), m’a particulièrement émue. Pour ce qui est des chants, bien dosés par rapport au dialogue, ils sont tous remarquables et beaucoup sont très entraînants, notamment le magnifique chant des Irréguliers et le chant de Baker Street, interprété une première fois par Holmes et Watson et une seconde, à la fin, par toute la troupe.
On ne peut pas parler des chants sans évoquer aussi les danses qui vont avec. Sortant moi-même, la veille, d’une répétition de théâtre où je n’étais pas au point sur mes pas, je n’ai pu qu’être impressionnée par la régularité des leurs, quel que soit le registre. On sentait d’ailleurs que beaucoup avaient une solide formation de danseur, particulièrement Henry Baskerville qui, dans son duo avec Beryl Stapleton était aérien, gracieux, éblouissant, tout comme dans ses brusques sorties de lit, surpris par Holmes ou les Barrymore. Rien que pour ses magnifiques et spectaculaires descentes – « chutes » serait un terme plus exact – de canapé, il mérite une ovation.
Ces chants et danses ne seraient d’ailleurs rien, ou moins bien, sans la splendide performance de ce que, en familière du théâtre grec, je nommerai le chœur, à défaut de savoir si le théâtre moderne a pour lui un terme plus adéquat. Que ce soit pour la mascarade du mariage d'Hugo Baskerville (qui me fait penser à celle du film de la comédie musicale du Fantôme de l’Opéra, en partie pour la dimension des masques et le fait qu’ils en portaient un devant et un derrière, m’évoquant directement le « look around, there’s another mask behind you »), pour la chanson-claquettes-batteries-sur-sceaux des Irréguliers ou le chœur des tableaux, chacune de leurs chansons était splendide sur les plans visuels et auditifs.
Et puis le chœur des tableaux, parlons-en de ce chœur des tableaux ! Ils apparaissent pour la première fois quand les Barrymore font visiter le manoir à Henry Baskerville et Watson puis surgissent dans le cauchemar d’Henry, le poussant et tirant dans son fauteuil roulant en lui demandant de trouver l’assassin. Ils reviennent ensuite pour une scène à eux, se retournant, au propre comme au figuré, contre Hugo Baskerville, de même que le fantôme de sa presque-femme et sa presque-belle-mère, mais se retournant progressivement vers lui à mesure de son chant – oserais-je dire de son aria ? – où il demande, sincèrement, le pardon de sa fiancée et de sa mère.
Une chose amusante et remarquable aussi avec ces tableaux, c’est que chacun a une âme. Ce chœur, en tableau ou non d’ailleurs, n’est pas un personnage mais un groupe de personnages. Quand ils viennent déposer une chaise, comme le faisait aussi remarquer une des personnes avec qui j’étais allée voir ce spectacle, ils ne se contentent pas de poser la chaise et de repartir, ils posent la chaise comme le ferait un humain : la réajustant, jugeant son travail ainsi que celui des autres, provoquant parfois de petites altercations silencieuses entre les personnages en arrière plan pendant que ceux de l’avant-scène discutent enquête et chiens de la malédiction.
On pourrait encore mentionner tant de choses, comme le train joué par un peu de ce chœur (joué, c’est-à-dire que des acteurs jouaient les portes qui s’ouvraient pour faire entrer les passagers, jouaient les voitures, jouaient les roues avec leurs claquettes...), les interventions toujours judicieusement placées des deux narratrices accompagnées de leur merveilleux morceau d'orgue de barbarie, les jeux de lumière participant à l’ambiance générale, le salut chorégraphié... mais je pense que le plus beau reste, de mon point de vue de presque-consœur, les expressions de joie et de fierté des acteurs pendant les rappels et leur cri d’allégresse une fois le rideau fermé pour de bon. Tout le monde était d'accord pour dire que ce fut une magnifique représentation.
Ainsi, comme l'ensemble des personnages conclut en chantant et dansant, « le crime n'atteint jamais son zénith quand le soleil se lève sur Baker Street » ! 🧐
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