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Les Traducteurs - Régis Roinsard (Chronique)

  • La Couleuvre
  • 12 févr. 2020
  • 5 min de lecture

      Quand je pense que l’on a failli ne pas aller voir ce film à cause d'une indécision chronique de notre bande d'amis, d'une égalité parfaite et d'un tirage à pile ou face, exécuté, soit dit en passant, avec brio par votre hôtesse…


     Il est rare qu’un film français récent me plaise mais celui-ci fut une excellente surprise ! Le synopsis présentait bien : des traducteurs sont enfermés dans un bunker pour traduire simultanément le dernier tome d’une trilogie en tête des ventes internationales mais un hacker diffuse les premières pages au bout de quelques semaines, menaçant de révéler le reste s’il ne se fait pas payer. L’éditeur commence alors à soupçonner chacun des traducteurs et à prendre des mesures pour que le coupable se révèle, tandis que les traducteurs eux-mêmes se voient pousser jusqu’à leurs derniers retranchements…


      Visuellement parlant, même si les plans sont plus utilitaires qu’artistiques, le décor du bunker et les couleurs froides dominante permettent de créer une ambiance qui correspond bien avec l'intrigue du filme et celle du roman à traduire, à ce qu’il en semble, un roman policier impliquant un virus, une noyade et un enquêteur hanté par le souvenir d’une femme qu’il n’a pu sauver.

      Musicalement parlant, je n’ai pas repéré de thème principal, juste celui d'Oscar Brach qui revient souvent dans ses scènes, mais j'ai trouvé chacune des musiques s’adaptait tout de même très bien à sa scène, souvent d’un type « angoisse » ou « recherche ». Oui, je classifie les musiques de film de cette manière-là. Et j’aime beaucoup les musiques de type « recherche ».


     Au niveau de son écriture, ce film est assez original.

     En effet, après avoir vu l’éditeur annoncer la sortie prochaine du livre et le projet de traduction simultanée, on commence par une série de brèves scènes où l’on voit chacun des traducteurs à l’aéroport, au départ de chez eux où à l’arrivée à Paris, s’illustrant par un bref échange qui présente leur personnalité. C’est donc, contrairement à ce que je viens juste de vous dire, un début très classique pour ce genre de film réunissant un groupe de personne, on le retrouve par exemple dans Le Crime de l’Orient Express de Kenneth Brannagh que je vous recommande par ailleurs. Le contexte de travail est ensuite présenté et l'on voit les réactions des traducteurs et les premiers échanges entre eux. Rapidement toutefois viennent s’intercaler des scènes où l’on voit l’éditeur parler, dans une prison, à quelqu’un mais sans que l’on voie ne serait-ce que la silhouette de son interlocuteur ni que l’on entende ses réponses. On n’a que les répliques de l’éditeur et deux plans de son visage, l'un parfaitement de face et l'autre parfaitement de profil, inhabituels dans un dialogue, dont l'alternance vient rythmer cet « échange », si je puis l’appeler ainsi, et faire monter la curiosité du spectateur. Il n’y a qu’une chose dont on soit sûr dès le début : cette personne est le hacker. Pour le reste, il faudra attendre…

     Dès les premières pages révélées, tout ne va plus être l’affaire de quelques jours, présentés en moins de deux heures dans lesquelles la tension monte de plus en plus, de concert avec la suspicion et les accusations, le tout entrecoupé de flashbacks ou de ces fameuses « discussions » en prison.

      Il n’y a aucune longueur, tout n’est qu’action, intrigue, réflexion, révélations, tenant le spectateur en haleine jusqu’à la dernière minute, arrachant des larmes parfois.


     Dans cette trame non linéaire, notre point d’ancrage principal est constitué par les personnages, principalement les neuf traducteurs, l’éditeur et son assistante.

     Chacun des neuf traducteurs, tous originaires d’un pays différent, a sa personnalité propre, ses peurs propres et son caractère propre (je sais, j'ai déjà présenté des personnages de manière très similaire ici). Ils se dévoilent au fil du film par leurs actions mais surtout par les propos qu’ils échangent entre eux, avec le duo constitué par Katerina, la Russe, et Alex, l’Anglais, mais aussi lorsque, poussés dans leurs derniers retranchements par l’éditeur pour forcer le hacker, qu’il pense être parmi eux, à se dévoiler, ils commence à parler aux autres de ceux qui les attendent à l’extérieur. C'est l'occasion pour Helene, la Danoise, de révéler, dans une touchante tirade, ses pensées les plus profondes sur sa vie de famille, ses raisons pour écrire, ses frustrations… Cette scène m’a d'ailleurs particulièrement émue, en grande partie parce que j’ai la même raison profonde d’écrire qu’elle.

     L’éditeur, Angstrom, est obsédé par le côté marketing du livre et par l’argent que celui-ci pourrait lui rapporter. Il est également hautain et n’hésite pas à dévaloriser les autres quand il les trouve mauvais et faibles, de manière assez sèche. Il est ainsi un personnage absolument détestable et est très bien interprété comme tel par Lambert Wilson – dont l’accent français en anglais m’avait manqué depuis Matrixqui réussit à nous le faire détester pour son caractère et ses actes et non pour une mauvaise interprétation, comme c’est le cas pour certains antagonistes ou personnages secondaires, voire principaux.

     Rose-Marie, l’assistante d’Angstrom, nous apparaît au début comme sympathique par son air enjoué et sa voix fluette mais en même temps comme très stricte sur le protocole à respecter pour cette traduction simultanée. Toutefois, on voit vite que son patron ne la considère pas tellement, en partie parce qu’elle, elle ne fait son métier que parce qu’elle aime la littérature… mais je n’en dirai pas plus et vous laisserai découvrir.


     Outre la forme, il convient aussi de mentionner le fond.

     Au moment du visionnage, plusieurs scènes m’ont fait penser, plus en tant qu’auteur que spectatrice, « Oh mais c’est tellement ça ! ». Une amie avec qui j’ai vu le film, autrice elle aussi (celle dont je parle du livre ici et qui tient son blog ), était dans le même cas. Plusieurs « problèmes » d’auteur y sont effectivement évoqués, en plus de ceux des traducteurs, comme l’argent que se fait l’éditeur avec le livre, les cas de rencontre avec un sosie d’un personnage – ce qui est parfois très, très déroutant, surtout pour l'auteur – ou encore le fait de toujours dévaloriser son propre travail. Et il y en a plein d’autres.

     J’ai aussi particulièrement aimé le jeu sur les langues : on a des personnages polyglottes alors autant en profiter ! Ainsi, impossible de trouver le film projeté avec une indication le disant en VF et même les francophones le regarderont en VOSTFR. En effet, la majorité des répliques est en français, bien entendu, mais certaines phrases des traducteurs sont prononcées dans leur langue, pas forcément comprise par les autres, et l'on a aussi des appels d’affaire en anglais, plus réalistes, et surtout la fantastique et tendue scène où ils essayent de se trouver une langue commune autre que le français, vous voyez sans doute de quoi je parle si vous avez vu le film.

     Et puis tout de même, ils arrivent à nous tenir en haleine à propos du troisième tome d’une trilogie qui n’existe même pas pour nous, spectateurs, et qui ne nous est pas présentée autrement que quand les personnages la citent ou discutent de certains passages !



     En résumé, si vous êtes auteur, allez le voir ; si vous êtes éditeur, allez le voir ; si vous êtes traducteur, allez le voir. Vous savez quoi ? allez le voir, quelle que soit l’occupation de vos journées. Et si vous l'avez déjà vu, allez le revoir pour mieux comprendre toutes ses subtilités.

     Un simple conseil : dans le cinéma, il faut regarder dans la bonne direction. 📖

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